Tambours burundais au Louvre de Paris : une polémique qui divise
La controverse du Louvre : culture ou politique ?
Le 25 mars 2025, lors d’un événement culturel de la « Nuit des Musées » au Musée du Louvre à Paris, l’écrivain et artiste franco-rwandais Gaël Faye a orchestré une performance inédite réunissant, pour la première fois, les célèbres danseurs Intore du Rwanda et les Tambours royaux du Burundi, inscrits au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis le 27 novembre 2014. Cette collaboration, célébrée sous la pyramide emblématique du Louvre, visait à promouvoir la fraternité entre deux peuples aux relations tendues. Cependant, cela n’a pas plu à l’ambassade du Burundi à Paris.
Une performance jugée irrégulière par l’Ambassade du Burundi à Paris
En effet, dans son communiqué du 26 mars 2025, l’Ambassade de la République du Burundi à Paris a dénoncé une « violation flagrante » du décret n°100/196 du 20 octobre 2017 qui réglemente l'exploitation du tambour burundais. L'ambassade reproche aux deux tambourinaires burundais de ne pas s'être enregistrés auprès de la représentation diplomatique pour un « encadrement culturel » (l’article 12 dudit décret), et pire encore, de ne pas respecter les « standards du rituel du tambour burundais », notamment en raison leur collaboration avec un « groupe folklorique étranger » – en l’occurrence, les danseurs Intore rwandais. L’Ambassade s’est enfin désolidarisée de cette initiative, menaçant de saisir les instances compétentes pour sanctionner ce qu’elle qualifie d’« exploitation inappropriée des expressions culturelles burundaises ».
Derrière cette crispation, se cachent réellement moins des considérations culturelles que politiques.
Une législation au service du contrôle politique
En effet, le décret N°100/196 signé en 2017 par l'ancien président Pierre Nkurunziza, impose des conditions strictes à toute exhibition de tambourinaires à l'autorisation préalable du ministère de la Culture. Un texte qui va jusqu'à imposer aux groupes évoluant à l'étranger de « se faire enregistrer auprès des ambassades » pour leur « encadrement culturel » - euphémisme à peine voilé pour désigner une surveillance politique. Cette réglementation s'accompagne d'une redevance exorbitante de 500 000 BIF (65 € au marché noir) par exhibition.
« Légiférer sur la culture, c'est ce qu'il ne faut pas faire, sauf si on veut tout contrôler, une sorte de dictature culturelle », estime un observateur averti de la scène culturelle burundaise.
L'ironie est d’autant plus frappante que le tambour burundais, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2014, se trouve désormais encadré par des restrictions qui limitent sa diffusion.
L'hypocrisie d'une application sélective
Plus révélateur encore est le caractère manifestement sélectif de l'application de cette loi. Selon plusieurs sources, « aucun groupe folklorique des tambours burundais en Europe et même en Amérique du Nord ne s'est jamais inscrit à son ambassade ou n'a demandé de permission obligatoire avant de jouer au tambour ». Pourquoi alors cette soudaine indignation pour l'événement du Louvre ? La réponse est sans équivoque : « C'est parce que ces tambours ont été joués par des burundais aux côtés des rwandais alors que les relations entre ces deux pays sont tendues ».
La voix des artistes étouffée, leur talent dévalorisé
Kazama Trésor, l'un membre fondateur de l’association concernée par le communiqué, défend sa participation : « Nous étions dans cet événement en tant qu'Association de promotion de la culture burundaise dénommée “Ngamba Akaranga” agréée en France. Nous n'avons violé aucune loi française étant agréé en France et non pas au Burundi. Nous avons tout simplement été heureux de promouvoir notre culture dans un lieu si prestigieux que le Louvre dans un événement exclusivement culturel et non politique. C'était inédit ! »
Ce témoignage soulève un conflit de juridiction fondamental : une association légalement constituée en France se voit reprocher de ne pas respecter une législation burundaise sur le sol français - une extension extraterritoriale du pouvoir étatique qui soulève de sérieuses questions de souveraineté culturelle pour la diaspora.
La dévalorisation des gardiens de la tradition
Pendant ce temps, même au Burundi, les tambourinaires subissent une dévalorisation économique. Lors de la 8ème édition de la Semaine du tambour burundais en décembre dernier, la troupe gagnante a reçu une récompense dérisoire de 1 million de Fbu (environ 130€) - une somme qui illustre le fossé abyssal entre la rhétorique officielle sur l'importance du patrimoine et le traitement réel de ses gardiens. Et surtout en contraste flagrant avec les 65 millions (8.300€) accordés à Miss Burundi.
Edwin Dwima Umunyakaranga, photographe et tambourinaire, dénonce sur X avec amertume cette contradiction : « La récompense accordée aux groupes qui jouent du tambour est de 800 000 BIF (102 €), tandis que celle de Miss Burundi s'élève à 65 millions ! Et après cela, si nous décidons d'arrêter de jouer du tambour, certains diront que nous avons abandonné notre culture ? »
Certains observateurs nuancent cette comparaison en rappelant que : « le concours Miss Burundi est un événement privé, largement financé par des sponsors et des revenus publicitaires, ce qui explique en partie l'importance de sa dotation ». Mais cette nuance soulève précisément une question fondamentale : pourquoi l'État burundais ne laisse-t-il pas aux privés l'organisation des concours de tambourinaires, permettant ainsi une meilleure valorisation de cet art ? Pourquoi ce qui fonctionne pour un concours de beauté ne pourrait-il pas s'appliquer à un patrimoine culturel millénaire ?
Du symbole sacré à l'instrument politique
L'histoire des tambours burundais est pourtant intimement liée à celle de la nation et de sa monarchie. Symboles sacrés dotés jadis d'un statut semi-divin, ils servaient à annoncer les grands événements royaux et à rythmer la vie quotidienne du royaume. La karyenda, tambour principal, figurait même sur le drapeau national entre 1962 et 1966, avant d'être remplacée à l'avènement de la République.
Bien au-delà d'un simple instrument de musique, le tambour burundais a toujours été un médium de communication politique et spirituelle. Dans la tradition précoloniale, il était le vecteur par lequel s'exprimait la voix du souverain, mais aussi celle des ancêtres. Sa cadence scandait les moments solennels de la vie nationale, depuis les cérémonies d'intronisation jusqu'aux rituels agraires qui marquaient le cycle des saisons.
Comme l'analysent pertinemment Thibaut Vandriessche et Diane Paugnat dans leur article « Les tambours du Burundi, des instruments très politiques » publié en juin 2022 sur le site d’Afrique XXI, « la pérennité de l'emploi politique du tambour est révélatrice de son ancrage dans la normativité politique ». Le CNDD-FDD, au pouvoir depuis 2005, semble perpétuer cette tradition avec une différence fondamentale : là où le tambour servait autrefois à communiquer avec le peuple, il devient aujourd'hui un outil de contrôle.
« Le patrimoine national est ainsi approprié par l'appareil d'État et non plus par ses citoyens. Le tambour devient alors le sujet d'une personnification du pouvoir politique et non d'une histoire populaire », concluent les chercheurs. Cette analyse dévoile une stratégie d'accaparement symbolique où le parti au pouvoir tente de s'arroger l'héritage culturel de la nation pour renforcer sa légitimité - une forme subtile de confiscation identitaire.
La culture comme pont entre les peuples
Face à cette mainmise gouvernementale, des voix s'élèvent. Jean-Marie Ngendahayo, ancien ministre sous le président Melchior Ndadaye du Frodebu (1993) puis sous Pierre Nkurunziza du CNDD-FDD (2005-2007), a réagi avec ironie sur son compte X (ancien Twitter) : « Mon Dieu, laissons l'art aux artistes. Et surtout, comme disait l'Autre, n'emprisonnons pas Voltaire ! »
Cette référence historique est loin d'être anodine. Elle renvoie à cette formule restée célèbre : « On n'emprisonne pas Voltaire » du Général Charles de Gaulle, alors président de la République française, qui, face aux pressions de son entourage qui l'exhortait à sanctionner l'intellectuel, refusa de poursuivre Sartre pour son soutien au « Manifeste des 121 » durant la guerre d’Algérie. Il leur a expliqué qu'une démocratie ne peut s'attaquer à ses penseurs, même dissidents.
Voltaire, symbole de la liberté d'opinion et figure emblématique de la lutte contre l'obscurantisme et l'arbitraire judiciaire (notamment à travers son combat dans l'affaire Calas), devient ainsi la métaphore de ces artistes burundais que l'État cherche à museler.
En invoquant cet épisode, Ngendahayo établit un parallèle frappant : là où de Gaulle préserva la liberté d’expression, le régime burundais muselle ses créateurs. Fort de son expérience sous des régimes contrastés, Ngendahayo souligne la dérive autoritaire actuelle.
L'initiative de Gaël Faye représentait pourtant une opportunité unique de transcender les clivages politiques par le pouvoir fédérateur de la culture. « Dans ces moments où tout burundais épris de paix voudrait voir le Burundi et le Rwanda retrouver leur bon voisinage, Gaël Faye a bien fait de faire jouer ensemble les rwandais et burundais », souligne un analyste.
L'incohérence des restrictions culturelles
L'ambassadeur du Burundi à Paris, Isaïe Kubwayo, invoque une règle selon laquelle « il faut au moins onze tambourinaires » pour jouer des tambours sacrés. Mais cette exigence est-elle vraiment ancrée dans la tradition burundaise ? Cette vision rigide contredit l'histoire : dans le Burundi précolonial, l'Umuhamagazi (crieur public), par exemple, n'utilisait qu'un seul tambour pour transmettre ses messages à travers les collines.
Cette réalité historique démontre que la pratique du tambour a toujours été diverse et adaptée aux contextes, bien loin du carcan bureaucratique actuel. Elle révèle ironiquement l'absurdité d'une réglementation qui prétend figer dans le marbre des pratiques culturelles vivantes et évolutives. Cette ossification administrative nie la nature même de la culture, qui a toujours été un processus dynamique d'adaptation et de réinterprétation.
En réalité, l'argument numérique avancé par l'ambassadeur masque la véritable préoccupation : ce n'est pas tant le nombre de tambourinaires qui pose problème que leur association avec des artistes rwandais dans un contexte diplomatique tendu. La culture devient ainsi otage des aléas géopolitiques, au détriment de sa mission fondamentale de création de ponts entre les peuples.
Un potentiel économique inexploité
La reconnaissance du tambour burundais par l'UNESCO en 2014 aurait dû être le point de départ d'une stratégie de valorisation économique et touristique. À l'heure où le tourisme culturel représente un segment dynamique du marché mondial des voyages (800 milliards de dollars annuels selon l'OMT), le Burundi se prive d'une manne financière en entravant la promotion internationale de son patrimoine.
Les expériences d'autres pays démontrent l'impact économique significatif d'une politique culturelle ambitieuse. Ces pays ont compris que la vitalité d'une culture réside précisément dans sa capacité à se réinventer et à dialoguer avec d'autres traditions, tout en restant fidèle à son essence.
En limitant l'exposition internationale des tambours burundais par des contraintes administratives et financières dissuasives, les autorités compromettent non seulement l'avenir de cette pratique culturelle, mais aussi les perspectives de développement économique qu'elle pourrait générer.
Une approche plus constructive consisterait à mettre en place un manuel simple et bien concis qui régisse les « standards du rituel » traditionnel afin que tout le monde puisse s'y conformer, tout en valorisant davantage les artistes qui perpétuent cette tradition millénaire. Il s'agirait de passer d'une logique de contrôle à une logique d'accompagnement et de promotion, où l'État se positionnerait comme facilitateur plutôt que comme censeur.
La diaspora, acteur culturel marginalisé
La controverse du Louvre met également en lumière le rôle crucial mais souvent méconnu de la diaspora dans la préservation et la promotion des cultures africaines. L'association “Ngamba Akaranga”, créée par des Burundais de France, illustre cette dynamique où les communautés expatriées deviennent les ambassadrices de leur patrimoine d'origine.
Ce phénomène s'observe dans de nombreuses diasporas africaines, où des associations culturelles maintiennent vivantes des traditions parfois menacées dans leur pays d'origine. À Londres, Paris ou Bruxelles, des groupes de danse, de musique ou de théâtre perpétuent des expressions culturelles qui peinent parfois à survivre sur le continent, confrontées aux défis de la modernité ou aux restrictions politiques.
Loin d'être reconnue comme un atout, cette vitalité culturelle de la diaspora est souvent perçue avec méfiance par les autorités des pays d'origine, qui y voient une forme de contestation de leur monopole sur la définition de l'identité nationale. Le communiqué de l'ambassade du Burundi témoigne de cette tension, où la pratique culturelle autonome est immédiatement suspectée d'irrégularité et menacée de sanctions.
Cette approche néglige pourtant le potentiel considérable que représente la diaspora en termes de rayonnement international et de diplomatie d'influence. Dans un monde globalisé où la compétition pour l'attention médiatique est féroce, ces communautés constituent des relais précieux pour faire connaître et apprécier les richesses culturelles africaines.
Libérer les tambours pour faire entendre la voix du Burundi
Le paradoxe est saisissant : un pays qui prétend protéger son patrimoine culturel en l'empêchant de rayonner au-delà de ses frontières, qui dévalue les gardiens de sa tradition tout en s'enorgueillissant de sa reconnaissance internationale.
La vraie défense du patrimoine burundais ne réside pas dans des textes juridiques restrictifs ou des menaces de poursuites, mais dans la valorisation réelle de ses artistes et la libération de leur créativité. Pour que le tambour burundais continue de résonner à travers le monde, il est temps de le libérer des chaînes administratives et politiques qui l'entravent.
Comme l’a si justement dit Jean-Marie Ngendahayo en écho au Général de Gaulle, « laissons l'art aux artistes et n'emprisonnons pas Voltaire ». Car c'est précisément lorsqu'une culture respire librement qu'elle peut véritablement incarner l'âme d'un peuple et dialoguer avec le monde. Dans le cas contraire, le tambour risque de devenir le symbole vide d'une grandeur passée, exhibé comme une relique folklorique lors des cérémonies officielles « définies » par le régime, mais vidé de sa substance vivante et créatrice.
Entre préservation de l'authenticité culturelle, valorisation des artistes et ouverture au dialogue artistique, le débat reste ouvert. Mais une chose semble claire: la culture, par essence vivante et évolutive, s'accommode difficilement des cadres trop rigides.
À très bientôt,
Blaise Baconib
Journaliste Freelance – Analyste – Penseur libre
Je suis d'accord pour libérer le tambours. Si c'est de l'art, laissons le aux artistes au lieu de l'emprisonner.
En effet, les artistes doivent être libres de leurs prestations. Néanmoins, pour ce qui est du Tambour, il devrait y avoir un manuel des rites à respecter par tous afin de gardes notre cultures authentiques sans pour autant mettre des contraintes inutiles aux artistes.