« Chasseurs de KIT » — Quand un complotisme attise la haine ethnique et profite au régime burundais
Un discours divisionniste au service de l'oppression
Depuis quelques mois, sous couvert de « lutte pour la reconnaissance d’un génocide des tutsis au Burundi », certains individus ont importé et détourné un arsenal rhétorique issu des bas-fonds du conspirationnisme mondial. Leur cible ? Non pas le régime du CNDD-FDD, mais paradoxalement les voix qui s'y opposent véritablement et dénoncent leur extrémisme.
Sur les réseaux sociaux, particulièrement X (anciennement Twitter), trois expressions se sont imposées comme les armes favorites de cette chasse aux sorcières : « KIT », « Connect the dots » et « Payroll ». Ces termes, directement importés des mouvements complotistes occidentaux, sont réadaptés au contexte burundais pour discréditer tout opposant, activiste, journaliste ou organisation qui ose critiquer tant le régime que les méthodes radicales de ces nouveaux inquisiteurs.
L'instrumentalisation dangereuse des tensions ethniques
Ce qui rend ce phénomène particulièrement alarmant est la manière dont ces accusations réactivent et instrumentalisent les tensions ethniques historiques. En s'autoproclamant défenseurs exclusifs de la cause tutsi, ces « chasseurs de KIT » tracent une ligne de démarcation ethnique artificielle dans l'opposition. Quiconque critique leurs méthodes ou appelle à l'unité au-delà des clivages ethniques est immédiatement accusé d'être complice du régime ou de minimiser les souffrances des Tutsis.
Cette radicalisation du discours fournit au régime du CNDD-FDD le prétexte idéal pour justifier l'endoctrinement de sa milice Imbonerakure contre une prétendue "menace tutsi radicale". Le pouvoir peut ainsi présenter toute opposition comme étant manipulée par des extrémistes ethniques, renforçant sa propagande qui dépeint le régime comme seul garant de la stabilité nationale.
L'anatomie d'un vocabulaire toxique importé
« KIT » — l’épouvantail parfait
À l’origine, le terme « KIT » (Knowledge Infiltration Tool), littéralement « Outil d’infiltration de la connaissance », est une pure fiction popularisé dans les milieux conspirationnistes anglophones, notamment aux États-Unis, où il désigne un prétendu mécanisme secret pour « manipuler » l’opinion, la vérité, l’information ou « formater » les esprits. C’est un concept flou, souvent utilisé pour alimenter la méfiance envers les institutions du savoir (éducation, science, médias).
Au Burundi, ce terme est désormais brandi sans la moindre preuve pour salir des organisations et figures respectées comme FOCODE et Pacifique Nininahazwe, le groupe de presse IWACU et Antoine Kaburahe, ou encore la Maison Shalom et Marguerite Barankitse. Leur véritable crime ? Oser critiquer à la fois le régime ET l'extrémisme ethnique des « chasseurs de KIT ».
« Connect the dots » — fabriquer des complots sur base ethnique
« Connect the dots » ( littéralement « relier les points »), expression courante dans les cercles complotistes anglophones, mais aussi dans d’autres contextes comme l’analyse critique, l’investigation ou la résolution de problèmes. A titre d’exemple, un journaliste d’investigation relie les points entre des scandales financiers ou bien un chercheur relie les points entre différentes découvertes scientifiques pour proposer une théorie. Dans les théories du complot, ce concept« Connect the dots » devient une méthode subjective de création de sens à partir des événements ou faits souvent déconnectés entre eux.
Dans l'univers de ces conspirationnistes burundais, cette méthode sert à tisser des récits où l'appartenance ethnique devient le critère central d'analyse. Toute collaboration entre activistes d'ethnies différentes est suspectée, toute approche inclusive est vue comme une trahison. Cette vision paranoïaque renforce les divisions au sein de la société civile et facilite le travail du régime qui n'a plus besoin de discréditer lui-même ses opposants.
« Payroll » — l’accusation qui stigmatise
« Payroll » (littéralement : une fiche de paie), issue de la rhétorique anti-élites européenne et américaine, désigne quelqu’un prétendument « payé » par une entité occulte (gouvernements, ONG, « Big Pharma ») pour trahir.
Dans le contexte burundais actuel, cette accusation toxique ne vise plus seulement à dénoncer une prétendue influence occidentale, mais à établir une équivalence pernicieuse : critiquer les méthodes divisionnistes des « chasseurs de KIT » équivaudrait à trahir la cause tutsi. Cette manipulation morale empêche tout débat interne et favorise une polarisation ethnique dont le régime est le principal bénéficiaire.
Une aubaine pour le régime du Cndd-Fdd
Pendant que ces apprentis conspirationnistes s'acharnent à diviser la société civile et l'opposition selon des lignes ethniques, le régime peut jubiler en toute quiétude. Cette diversion permet au CNDD-FDD de poursuivre sa politique répressive, la mauvaise gouvernance et la corruption à l'abri des regards critiques, tout en alimentant sa propagande sur les « dangers de l'extrémisme tutsi ».
Ils vont jusqu’à s’autoproclamer porte-parole des rescapés tutsis, clamant que ceux qu’ils appellent « les KIT » soutiennent le régime ou soutiennent des « génocidaires », une imposture qui manipule les traumatismes pour semer la discorde et qui profane les mémoires pour mieux haïr.
Les accusations lancées par ces « chasseurs de KIT » servent de prétexte au régime pour renforcer l'endoctrinement ethnique de sa milice Imbonerakure. Chaque outrance verbale, chaque appel à la méfiance ethnique de ces conspirationnistes est récupéré par le pouvoir pour légitimer sa propre rhétorique divisionniste et sa répression.
Plus grave encore, cette rhétorique complotiste ethnique renforce la méfiance entre communautés et compromet les efforts de réconciliation nationale. Elle enferme chaque groupe dans une logique de victimisation concurrentielle qui ne profite qu'au régime autoritaire.
Briser le cycle de la haine ethnique instrumentalisée
Face à cette menace grandissante tant pour la cohésion de l'opposition que pour la paix sociale, il devient urgent de déconstruire ces mécanismes rhétoriques toxiques qui réactivent les blessures ethniques du passé.
La véritable résistance au régime autoritaire passe par l'unité au-delà des clivages ethniques et la rigueur factuelle, non par l'importation de méthodes discursives qui divisent et affaiblissent ceux qui luttent pour plus de démocratie et de respect des droits humains au Burundi.
Quand vous entendez quelqu'un utiliser les termes « KIT », « Connect the dots » ou accuser un activiste d'être « Payroll » en raison de ses critiques envers l'extrémisme ethnique, posez-vous cette question essentielle : qui bénéficie réellement de cette polarisation ethnique ? La réponse est claire : le régime du CNDD-FDD.
Ces complotistes autoproclamés, qu'ils en soient conscients ou non, fournissent au pouvoir les arguments dont il a besoin pour justifier sa répression et diviser ses opposants. Il est temps de rejeter ces manipulations avant qu'elles ne compromettent davantage les chances d'une transition démocratique inclusive au Burundi.